Grindhouse

Pour ceux qui ne le savent pas encore, Grindhouse est un programme double inspiré des cinémas minables qui montraient des films distribués de façon indépendante à la fin des années 70 et au début des années 80.


Toutefois, il y a une large marge entre un film indépendant et un film d’auteur. Dans les grindhouses, on présentait des Western Spaghetti, des films de Kung Fu, des Deepthroat ou des Shivers. Dès la première fausse bande-annonce, Hobo with a Shotgun, insérée parmi les véritables, le ton est donné: sang, violence et sexe seront au rendez-vous. Mais les deux films proposent encore davantage. Rodriguez, après Sin City, continue ses impressionnants exercices de style tandis que Tarantino, après Kill Bill, continue à commenter les genres qui l’ont inspiré.

Planet Terror

Réalisé par Robert Rodriguez, avec Rose McGowan, Freddy Rodriguez, Josh Brolin, Marley Shelton, et Bruce Willis, É.-U., 2007, environ 90 min.

Le producteur, réalisateur, directeur photo, compositeur musical, monteur, etc, Robert Rodriguez, propose avec Planet Terror une réponse à la question qui hante tous les cinéastes du monde depuis que Edison a inventé l’image mouvante: qu’est-ce qui rend un film cool? En un mot: l’imagination.

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Les personnages doivent marquer l’imagination. Que serait Army of Darkness sans Ash ou Escape from New-York sans Snake Plissken? En moins d’une heure et demi, Rodriguez parvient à créer une imposante et impressionnante galerie de personnages aux répliques savoureuses, aux looks inoubliables et aux actions spectaculaires. Ainsi, défilent à l’écran une danseuse à gogo (Rose McGowan) qui conserve son sens de l’humour même après avoir perdu une jambe, son ex (Freddy Rodriguez), un remorqueur au passé nébuleux et à la gâchette facile, une sexy anesthésiste bi-sexuelle (Marley Shelton) qui porte à la cuisse un lance seringue, son mari jaloux (Josh Brolin) aussi sadique que dédaigneux, un micro-bio-chimiste (Naveen Andrews) qui collectionne les testicules de ses ennemis sans oublier les mémorables personnages campés par Tom Savini, Bruce Willis, Jeff Fahey, Quentin Tarantino, Michael Bieh et Michael Parks.

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Tous ces excentriques évoluent dans un monde parallèle aux règles originales, proches de celles d’une bande-dessinée. C’est le genre de monde où une femme peut utiliser sa jambe artificielle, véritable M-16, pour lancer une roquette au sol et profiter de l’explosion pour se propulser dans les airs par dessus un mur. C’est le genre de film où une main suffit pour s’agripper à un câble attaché à un hélicoptère et s’envoler. On dirait que Rodriguez s’est endormi pendant une séance marathon de Return of the Living Dead, Army of Darkness et Big Trouble in Little China et que le rêve fiévreux qui l’a hanté cette nuit là se trouve maintenant concrétisé à l’écran. Les trucages, créés par la boîte d’effets spéciaux personnelle du cinéaste Texan, Troublemaker Digital, parviennent à concrétiser sans bavure ses folles visions.

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Le résultat ne correspond ni aux intrigues, ni au rythme, ni à la qualité technique des films projetés dans les grindhouses. L’esthétique défraîchie s’en approche toutefois. En plus d’accorder au film un look appartenant à une différente époque, les taches, égratignures et problèmes d’exposition sont exploités à des fins narratives. Par exemple, une chaude scène érotique s’avère si brûlante qu’elle fait fondre le matériel filmique. Aussi, lorsque deux soldats s’apprêtent à violer deux femmes blessées, la pellicule mal exposée tourne au rouge pour marquer la menace. Plus impressionnant encore, des ordinateurs ont été utilisés pour réussir ces trucages. En effet, Rodriguez tourne en HD depuis une visite au Skywalker Ranch de George Lucas après la sortie de Spy Kids en 2001.

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Le nostalgique réalisateur de El Mariachi tourne en numérique pour des raisons purement pratiques. Avec Planet Terror, il rédige une lettre d’amour au grain, à la texture et aux possibilités de le pellicule… en HD! D’abord avec Sin City puis avec ce segment de Grindhouse, Rodriguez continue d’explorer et de démontrer les possibilités visuelles de ce médium.

Si seulement la projection en HD s’avérait aussi économique et efficace que le tournage en HD…

Death Proof

Réalisé par Quentin Tarantino, avec Kurt Russel , Rose McGowan, Sydney Tamiia Poitier, Rosario Dawson, Quentin Tarantino et la téméraire Zoë. USA, 2007, environ 90 min.

Quentin Tarantino a fait la preuve à maintes occasions qu’il maîtrise l’art complexe du montage et de la structure narrative. Kill Bill, Pulp Fiction, Reservoir Dogs racontent des histoires dans le désordre en respectant des règles internes complètement différentes. Avec Death Proof, Tarantino sort un nouveau chapeau de son lapin, ou vice-versa. Il divise son film en deux parties, d’une façon qui plaira certainement aux fans de Karl Marx.

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La première moitié représente la thèse. Trois jeunes femmes décident de faire un tour au centre-ville de Austin, Texas, pour faire la fête. Elles échangent des répliques, ma foi, fort Tarantino-esques. Divertissantes en soi, les longues conversations paraissent à première vue superflues au déroulement de l’intrigue. Mais pendant que les trois filles s’obstinent pour savoir laquelle d’entre elles devrait acheter le pot aux deux autres, on apprend à les connaître mieux que si elles racontaient leur vie directement à la caméra.

Puis apparaît Stuntman Mike, le personnage de Kurt Russell dont la carrière semblait avoir couler avec le Poséidon. Après John Travolta, Pam Grier et David Carradine, Snake Plissken devient le plus récent has-been de Hollywood à profiter du programme de remise au goût du jour de Tarantino. Toujours est-il que la balafre qui marque le visage du quinquagénaire ne ment pas, de ce film d’horreur il est le méchant. Hors de son automobile, il se montre aucunement menaçant. Au contraire, on apprend que ce cascadeur au chômage ne fume pas de drogue et ne boit pas d’alcool. Pire encore, on le sent un peu pathétique alors qu’il tente de séduire des jeunes nymphettes.

Mais dans son automobile, le masque tombe. Il devient prédateur. Dans une scène extraordinaire montée au rythme d’une chanson, Hold Tight de Dave Dee, comme seul Tarantino arrive à ressortir des boules à mites, le cascadeur scelle le destin des jeunes femmes d’un coup de pied sur l’accélérateur.

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D’une manière similaire à la majorité des films d’horreur, la scène de meurtre devient le point culminant du film. Malgré l’excellence des dialogues, cette scène, comme celle de la douche dans Psycho, est attendue, voire espérée par les sadiques spectateurs. Néanmoins, contrairement, à la plupart des slashers, un véritable effort a été fait pour rendre les victimes attachantes. Leur décès déçoit d’autant plus car les motifs de l’agresseur sont inconnus et par conséquent incompréhensible.

Puis vient la seconde moitié: l’antithèse.

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On retrouve de nouveaux personnages féminins qui s’échangent de nouveau des dialogues amusants. Cette fois, deux d’entre elles possèdent un point en commun avec le maniaque de la route: elles sont aussi cascadeuses. Quand leurs destins se croisent sur le bitume, Stuntman Mike ne s’attendait pas à ce qu’elles résistent et contre-attaquent violemment. Dans cette deuxième partie de ce deuxième film du programme double, le lauréat de la palme d’or à Cannes en 1994 lance deux messages.

Premièrement, les effets spéciaux à l’ordinateur atténuent l’illusion de danger présentée à l’écran. Quand une Dodge Challenger roulant à plus de 100 km/h avec une femme sur son capot se fait foncer dedans par une Chevrolet Nova pilotée par un psychopathe, c’est encore plus spectaculaire et convainquant quand on sait que la fille est vraiment sur le capot. Après avoir vu la scène en question, personne ne peut argumenter le contraire.

Deuxièmement, lorsque les filles se vengent, elles le font avec une joie débordante et contagieuse. En tant que spectateur vous vous identifierez à ces personnages et partagerez leur entrain. Par contre, dans le vrai monde, si vous assistiez à une si heureuse et cruelle vendetta, vous seriez assurément outrés. Si, sans réfléchir, les spectateurs adoptent la cause des vengeresses, c’est que ses dernières la jugent bonne, indépendamment des valeurs du spectateur. C’est donc tout le contraire de la première partie du film.

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En guise de synthèse, soulignons que Tarantino réussit à faire accepter des valeurs jugées normalement déplacées par les spectateurs. Il dépose du même coup une pincée de sable dans la Vaseline des défenseurs de la théorie sémio-pragmatique du cinéma. Si vous ne comprenez pas ce que je viens d’écrire, ne vous en faites pas, souvenez-vous seulement de ceci: deux films cools pour le prix d’un, c’est le genre de deal qu’il ne faut pas manquer.