Manufacturing Dissent

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Un documentaire de Debbie Melnyk et Rick Caine, Canada, 2007, 92 min


Avec leur dernier documentaire, les réalisateurs Debbie Melnyk et Rick Caine soulèvent un débat des plus pertinent quant à l’éthique à respecter dans le cadre de la production de documentaires engagés. Afin d’étudier convenablement la question, quoi de mieux que de se pencher sur le cas Michael Moore? Les documentaires sont-ils tenus de s’en tenir strictement à la vérité ou peuvent-ils jouer avec certains faits afin de mieux faire passer leur message? La fin justifie-t-elle véritablement les moyens? C’est précisément la question que tente d’éclaircir le tandem de réalisateurs en se penchant sur les méthodes parfois douteuses du célèbre réalisateur.

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«  Changez-vous certains faits dans vos documentaires M. Moore?  » «  Mais bien sûr!  » de répondre le rondouillet réalisateur, qui ne semble absolument pas douter de la valeur de son travail pour autant. Jouant sur la chronologie ou encore sur le contenu de certains témoignages (par omission), Moore ne se cache pas de filtrer la vérité dans ses documentaires afin de la rendre plus percutante. C’est entre autres ce qui a poussé Melnyk et Caine à suivre Moore durant plusieurs mois afin de livrer au grand jour le côté obscur de celui que le monde entrevoit comme le nouveau sauveur. Remontant son parcours professionnel, les réalisateurs vont à la rencontre d’amis et d’anciens collègues de Moore afin de faire son portrait. Très rapidement, il est possible de saisir que Moore n’a jamais fait l’unanimité dans les milieux qu’il fréquentait de par une passion trop débordante pour la controverse. S’étant fait mentir ou jouer dans le dos, nombreux sont ceux qui, ayant été bafoués par Moore, livrent leurs impressions (ainsi que plusieurs péripéties) sur leur collaboration avec ce dernier. À ces témoignages choquants s’ajoutent l’impressionnant travail d’archive exécuté par Melnyk et Caine qui viennent appuyer les dires des intervenants et qui, n’ayons pas peur de le dire, font passer Michael Moore pour un enfoiré.

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N’évoquant absolument pas la vengeance, ou encore une manœuvre des ennemis de Moore afin de lui mettre des bâtons dans les roues, Manufacturing Dissent est troublant de par la lumière faite sur celui qui représente le porte-étendard de la voix populaire. Doit-on le laisser faire son travail au lieu de l’embêter avec des questions éthiques qui ralentissent l’émergence de la vérité? Attention. Comment peut-on faire véritablement confiance à un homme qui applique très exactement ce qu’il reproche à ses cibles dans ses films? Comment peut-on considérer valeureuse sa démarche dans Roger and Me alors que, après avoir accusé Roger Smith (Big boss de GM) de ne lui avoir accordé aucune entrevue pour son film, les deux hommes se sont en vérité rencontrés à deux reprises pour discuter du dossier GM? Et comment interpréter la demande faite par Moore à son équipe de Roger and Me de faire abstraction de ces rencontres afin de donner plus de poids à son documentaire? Comment se fait-il que l’équipe de Moore (bodyguards et représentants) jette Melyk et Caine en dehors du stade où ce dernier donne un discours enflammé sur la liberté d’expression tout en dénonçant le manque de transparence de la presse? Des contradictions de la sorte, il y en a des tonnes dans Manufacturing Dessent (parfois même un peu trop, ce qui peut causer des étourdissements momentanés). Mitraillé de commentaires en voix off, de coupures de journaux et d’extraits de conférences données par ce dernier, le film, aussi percutant puisse-il être, est parfois un peu difficile à suivre. Melnyk et Caine auraient dû épurer le résultat afin de rendre plus clairs certains moments clés de leur documentaire. Toutefois, le travail qu’ils ont tous deux accompli est digne des grands documentaristes et le sérieux avec lequel ils ont traité le sujet ne fait aucun doute.

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Manufacturing Dissent dérange. Personne ne souhaite que Michael Moore soit pris en défaut. Mais il faut avouer que les preuves apportées par Melnyk et Caine sont suffisament troublantes pour nous faire douter de l’intégrité du documantariste récipiendaire de la Palme d’or. Mais si on laisse Moore de côté, il est tout aussi intéressant de se questionner sur les motivations de Melnyk et Caine. Quelle est la pertinence de condamner celui qui défend nos intérêts si on se considère du même côté que lui? Pouvons-nous fermer les yeux sur certaines incartades quand ces dernières servent une noble cause? Ces questions vous martèleront du début à la fin du documentaire et si vous êtes comme moi, vous ne trouverez jamais de véritables réponses à vos repositionnements moraux. Toutefois, une chose semble certaine; si des films comme Roger and Me, Bowling for Columbine, Fahrenheit 9/11, Super Size me, The Corporation, etc., sont nécessaires, leurs créateurs doivent être conséquents dans leur démarche et agir en fonction de leur discours. Quoiqu’il advienne, il me semble nécessaire de voir Manufacturing Dissent. Pourquoi? Pour alimenter la controverse autour de Moore? Pour scinder encore plus la population? Pour voir Moore goûter à sa propre médecine? Non. Tout simplement parce que jouer à l’autruche et ne pas regarder la réalité telle qu’elle est n’a jamais constitué une solution en soit.

Un commentaire

  1. Gab dit :

    Manufacturing Dissent
    Excellente critique d’un film qui semble poser des questions intéressantes.

    Je ne peux pas dire que je suis un grand fan de Moore. Qu’un documentariste se mette à l’avant-plan dans des films où il devrait plutôt s’effacer derrière son sujet, ça peut bien passer comme une méthode révolutionnaire de faire des documentaires mais ce n’est pas la meilleure manière de tendre vers l’objectivité, ce qui est en partie l’objectif du documentaire. Si on ajoute à cela des pratiques professionnelles et éthiques douteuses, ça n’améliore pas mes opinions sur le bonhomme.

    Ceci dit, un film qui pose de telles questions gagne beaucoup à ne pas offrir des réponses concluantes. Susciter la réfléxion chez le spectateur afin que celui-ci puisse l’approfondir et la complexifier personnellement est un résultat plus intéressant que de couper court à un débat éthique en tranchant celui-ci en faveur d’une prise de position univoque et intransigeante.

    Par contre, dans ce cas particulier, il faudrait peut-être aller à l’encontre du proverbre et « tirer sur le messager ». Que Moore ait soulevé des questions sur l’élection de Bush et qu’il ait suggéré que la culture des armes à feu puisse être responsable de la tuerie de Columbine (plutôt que les jeux vidéos, les films violents, la musique rock et quoi encore) est certes louable, cependant, qu’il l’ait fait n’importe comment est impardonnable.

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