Un film de François Delisle avec Anne-Marie Cadieux, Laurent Lucas et Marc Béland, Canada, 2007, 85 minutes.
Après un été parsemé de 3 p’tits cochons, Ma tante Aline et Nitro, il est facile d’oublier que les cinéastes d’ici tournent aussi des films d’auteur. Bernard Émond avec Contre toute espérance et François Delisle avec Toi se chargent de vous le rappeler.
Le plus récent long métrage du réalisateur de Le bonheur est une chanson triste place des personnages tourmentés, à fleur de peau, au coeur d’une banale histoire de divorce. Michelle souffre du spleen. Ni son mari, ni son amant n’arrivent à lui rendre son sourire. Lorsqu’elle quitte l’un et perd l’autre, la dépression qui la guettait déferle sur elle. Son fils, profondément blessé par le soudain départ de sa mère, demeure avec son père. Ce qui élève ce drame au dessus du médiocre niveau de qualité d’un soap télévisé réside dans le jeu formidable des acteurs.
Au centre de l’action se trouve la muse du réalisateur: Anne-Marie Cadieux. Le rôle qu’il a écrit spécialement pour elle se veut aussi énigmatique qu’exigeant. Dans la peau et les os de Michelle, Cadieux incarne un être fragile qui vit mal avec son âge. Elle se trouve « trop vieille pour être cute ». Son frêle physique de femme-enfant, montré sans retenu par Delisle, colle merveilleusement au rôle. Cependant, sa crise existentielle ne se limite pas qu’à cela comme cette réplique trop littéraire tend à le démontrer: « Le sens-tu? Le sens-tu que j’ai mal? Je me sens vide. ». Ce vide, ni elle, ni les hommes de sa vie ne savent comment le combler. Michelle expérimente différentes solutions possibles: égoïsme, débauche, errance, sexe. Rien n’y fait. La guérison ne passe pas par l’indépendance. Elle a besoin de quelqu’un qui a besoin d’elle. Inconsciemment, en pratiquant l’adultère, elle déclenche une réaction chimique qui brise la molécule familiale et la restructure de manière à ce qu’elle vive seule avec son fils.
Marc Béland, vu récemment dans le décevant Guide de la petite vengeance, donne vie à un personnage complexe contaminé et affaiblit par la dépression de Michelle. Bien que Thomas aime profondément sa volatile maîtresse et ne désire que son bonheur, il n’arrive pas à saisir ce qui la rendrait heureuse. Lors d’une scène mémorable, il se prend une baffle puis un baiser sans qu’il ne comprenne le pourquoi de l’une ou l’autre.
Laurent Lucas complète le triangle amoureux qui ne tourne pas rond. Surpris par le départ de sa femme (il est bien le seul), Paul réagit violemment. Il attaque d’abord un ami qui lui avait caché la vérité sur les aventures extra-conjugales de son ex-conjointe. Il s’en prend ensuite à cette dernière en raison de son attitude désagréable. Finalement, il s’agresse lui-même car il déteste l’homme enragé qu’il est devenu.
Avec une histoire aussi simple et des interprètes aussi talentueux, une mise-en-scène dépouillée semblait de mise. Or Delisle, par son travail significatif du son et de l’image, entreprend de mettre en valeur ses acteurs et préciser son propos. Cette démarche porte fruit plus souvent qu’autrement. Par exemple, à travers des cadrages habiles, il expose la distance qui sépare l’époux et l’épouse pourtant assis côte à côte dans une voiture. Le silence final, qui marque le générique, bonifie le punch de la fin étonnante.
Néanmoins, certaines touches formelles nuisent à l’efficacité de l’oeuvre. Les dialogues téléphoniques qui accompagnent Michelle lorsqu’elle déambule sur les trottoirs, en plus d’être superflus, paraissent issus d’un maladroit film étudiant. Aussi, les chansons de Ève Cournoyer, même si elles ne sont pas vilaines, forment une mixture hétérogène avec le reste de la narration. Un drame de 85 minutes ne nécessite pas d’intermèdes musicaux.
Malgré ses défauts, Toi mérite d’être vu et apprécié. La performance de Anne-Marie Cadieux, à elle-seule, commande l’attention. Ce film d’auteur (et d’acteurs) tente parfois d’en faire trop mais comme le dit le dicton: « mieux vaut trop que pas assez ».