Les hommes et les femmes anonymes qui s’entassent dans un ascenseur pour éviter de monter les escaliers, s’empilent dans un abris d’autobus pour éviter d’être mouillés par la pluie ou attendent silencieusement leur tour pour parler au psychiâtre, ce sont Nous, les vivants.
Écrit et réalisé par Roy Andersson (Chansons du deuxième étage), Nous les vivants montre cyniquement comment, les uns et les autres, pouvons nous taper sur les nerfs. Qu’il s’agisse d’un joueur de tuba qui rend son voisin fou, d’un client qui frustre son barbier avec des commentaires insensibles ou d’un fils qui appelle son père au pire moment pour lui demander de l’argent, les personnages du cinéaste suédois donnent raison à Jean-Paul Sartre quand il écrivait: « L’enfer c’est les autres ». Une seule scène, la célébration d’un marriage, montre la collectivité unie, heureuse et amicale. Il s’agit toutefois d’un moment onirique dont l’aspect surréaliste ne vient que confirmer la tristesse de la réalité évoquée.
En plus de permettre à ses personnages de briser fréquemment le quatrième mur et s’adresser directement aux spectateurs, Andersson ignore volontairement la construction narrative classique pour brosser ce portrait à la fois ridicule et morose de la vie en société. Afin de concentrer l’attention sur les relations entre les individus plutôt qu’aux individus eux-même, il évite de suivre un protagoniste, privilégiant un enchaînement de scènes vaguement reliées par une série de causes et effets.
Limités à de longs plans séquences fixes, ces tableaux bénéficient d’une direction photo remarquable. Son responsable, Gustav Danielsson, exploite habilement l’espace, jouant de main de maître avec l’avant et l’arrière plan et créant des lignes de force dans l’image à partir des angles des décors. D’ailleurs, ceux-ci sont généralement sales et usés. Pas de nature, pas d’environnements aseptisés, que des espaces de repos ou de travail qui puent la présence humaine. De plus, les personnages ne demeurent jamais bien longtemps isolés à l’écran. Dès qu’ils se trouvent seuls, des figurants surgissent, souvent comiquement, des recoins du décor. En revanche, la caméra n’embellit pas les vivants qui déambulent devant elle. Au contraire, l’éclairage et le maquillage se conjuguent pour donner aux acteurs un morbide teint blême. Les interprètes ont certainement été triés sur le volet pour leurs airs ordinaires. Le film a beau être suédois, vous ne verrez pas de grands ou grandes beautés blondes aux yeux bleus.
Au coeur de cet univers maussade ne flotte qu’une bouée de sauvetage: l’humour grinçant de Andersson. « Les gens sont méchants, tout simplement » soutient-il à travers la bouche d’un psychanalyste déprimé. Ça explique peut-être pourquoi on préfère rire des malheurs présentés à l’écran que d’en pleurer. Le cinéaste chatouille aussi la rate en montrant la cocasserie de l’inconfort à la manière de la série télévisée The Office ou en opposant dans le même plan deux propos très différents comme lors de cette scène où un homme explique ses problèmes financiers pendant qu’une femme bien en chair le chevauche passionnément. Dans le même ordre d’idée, la trame sonore joviale composée par Benny Andersson (membre de Abba) et jouée avec énergie par un orchestre de cuivres tranche nettement avec l’ambiance visuelle affligeante préconisée par Danielsson.
Heureusement, le rire, comme l’art, est thérapeutique. D’ailleurs, n’est-ce pas Tim Burton qui comparait ses propres films à des « psychothérapies dispendieuses que les studios ne comprennent pas toujours »? Alors si d’un côté de l’écran, vous vous esclafferez d’un rire salutaire face aux situations embarrassantes projetées, de l’autre Roy Andersson exprime sainement ses inquiétudes vis-à-vis la condition humaine. Contrairement aux Oscars, ici tout le monde gagne.
Du Levande (Nous, les vivants)
Fuck, même pas pris la peine de nommer les acteurs…
Du Levande (Nous, les vivants)
J’ai de la misère à discerner si ce commentaire se veut un reproche ou une blague… Toujours est-il que je ne pense pas, pour les raisons expliqués dans le texte, que l’identité des acteurs importe dans ce film.