Un film de Michael Haneke, avec Naomi Watts, Tim Roth et Michael Pitt. France/États-Unis/Autriche/Royaume-Uni, 108 minutes.
Dès qu’apparaissent à l’écran, accompagnées sur la bande son des cris d’un chanteur métal*, les géantes lettres rouges épelant Funny Games, Michael Haneke annonce clairement ses intentions: choquer sans remords ni pitié.
George et Ann, un couple bien nanti, se rendent à leur maison de campagne avec leur fils pour jouer au golf et faire de la voile. Toutefois, leur destin croise une paire de psychopathes à la Abbot et Costello qui s’amusent cruellement à leurs dépends et s’assurent de transformer leurs vacances en cauchemar.
Michael Haneke recrée intégralement son propre film du même nom datant de 1997 en américanisant seulement la distribution. Cette démarche se révèle d’une redoutable efficacité car elle permet de rejoindre le public des productions que le long métrage tient à critiquer, soit les films d’horreur populaire. C’est ainsi que Naomi Watts, que plusieurs ont découvert dans la version hollywoodienne de The Ring se retrouve de nouveau au coeur d’un film d’épouvante. Ici, plutôt que d’annoncer sa mort au terme d’une semaine, l’antagoniste ne lui laisse, à elle et sa famille, que douze heures à vivre. Et lorsque le mal incarné par Michael Pitt brise le quatrième mur et s’adresse directement à la caméra pour demander (je paraphrase): « Pensez-vous qu’ils peuvent s’en sortir? », la réponse s’avère aussi terrible qu’évidente.
Tout de blanc vêtus, avec des gants blancs comme Mickey Mouse, les deux tueurs interprétés avec détachement par Michael Pitt (Silk) et Brady Corbet (Mysterious Skin) n’ont rien à envier aux indestructibles forces surnaturelles que représentent Michael Myers, Jason Voorhes ou Freddy Krueger. Tout aussi irréalistes que ces monstres, les deux tortionnaires n’expliquent jamais véritablement leurs motivations et n’éprouvent nul besoin de le faire. Ils servent simplement l’histoire tordue de Haneke. D’ailleurs, ils ne se gênent pas pour le mentionner, soulignant avec sarcasme l’importance de la construction narrative et du divertissement du spectateur.
Les protagonistes, de leur côté, ne réalisent pas qu’ils habitent une fiction. Soumis à des tortures physiques (coups de bâton de golf) et psychologiques (jouer à chaud/froid pour trouver le corps d’un animal domestique), ils pleurent, supplient et luttent comme le ferait n’importe qui pour leur survie. L’horreur qu’inspirent ces terribles scènes dénote l’excellence des performances de Naomi Watts (King Kong), Tim Roth (Reservoir Dogs) et du gamin Devon Gearhart. Sans leur jeu inspiré, Funny Games ne constituerait pas un thriller traumatisant mais bien un exercice de style qui a pour but de souligner la perversité du cinéma d’horreur.
« Pourquoi visionner une oeuvre qui vous fait sentir si mal? » questionne le cinéaste autrichien. Or, ce n’est pas la tension que la plupart des amateurs du genre recherchent mais bien le relâchement de celle-ci. Le soulagement ressenti lors de l’évasion du héros ou de l’élimination d’un personnage secondaire antipathique se veut agréable. Lorsqu’un adjuvant meurt, ce n’est que pour ajouter du poids à la menace. Plus lourde est la charge, plus le soulagement est grand lorsqu’elle est retirée. Cependant, cruel du début à la fin, Haneke refuse catégoriquement toute forme de répit à ses victimes. Sans pitié, il les effraie, les blesse et les humilie. Bref, il les écrase.
Il demeure une minorité de fans de films d’horreur qui apprécie s’identifier aux tueurs plutôt qu’aux victimes. Eux-aussi se voient lésés par le réalisateur de La pianiste. À la manière de Hitchcock, Haneke refuse de montrer les actes violents commis, les laissant se dérouler hors des limites du cadre. Son choix de mise en scène ne repose certainement pas sur la croyance répandue que la violence suggérée est plus terrible que celle montrée. Il a démontré son contraire, de façon stupéfiante, avec la scène de suicide de Caché. Il cherche plutôt à frustrer les spectateurs sadiques assoiffés de gore pour lesquels il n’y a aucune satisfaction à tirer d’un meurtre commis pendant qu’on montre quelqu’un se préparer un sandwich.
Rarement un film où coule si peu de sang, se dénude si peu de peau et où ses personnages parlent si poliment s’est mérité un classement de 18 ans et plus. Ceci témoigne avec éloquence de la qualité subversive de Funny Games. À grands coups de bâtons de golf, Michael Haneke établit les limites du film d’horreur en tant que divertissement. Espérons que les responsables de la série Saw en prennent bonne note.