Un film de Edgar G. Ulmer, avec Tom Neal et Ann Savage. États-Unis, 1945, 67 minutes.
Les films noir présentent habituellement des personnages piégés par les circonstances qui, à force de se débattre contre le destin, n’arrivent qu’à s’enliser davantage dans le pétrin. C’est le cas de Detour, une production de série b signée Edgar G. Ulmer.
Le problème, c’est que l’intrigue imaginée par Martin Goldsmith se révèle tout simplement invraisemblable. Al (Tom Neal) est un pianiste new-yorkais talentueux qui, avec quelques dollars à peine dans les poches, entreprend de traverser le pays sur le pouce pour aller rejoindre l’élue de son cœur à Hollywood. La guigne s’abat sur lui quand le bon samaritain qui l’accepta comme passager meurt soudainement. Dès cet instant, Al ne cesse de prendre des décisions totalement illogiques. Paniqué à l’idée d’être accusé d’un homicide qu’il n’a pas commis, il cache (stupidement) le défunt et usurpe (doublement stupidement) son identité. Comble de malheur, il embarque le lendemain une auto-stoppeuse opportuniste (Ann Savage) qui avait voyagé l’avant-veille avec le mort. Dès lors, deux questions s’imposent: « Pourquoi un fugitif embarquerait-il une auto-stoppeuse? » et « Pourquoi obéit-il aux ordres d’une vagabonde alcoolique désarmée? ». Malheureusement, une bête réponse suffit à élucider les deux problèmes: « Pour permettre au récit de progresser ». Le comble du ridicule survient lorsque, permettez-moi de vous gâcher le punch, Al étrangle mortellement, sans faire par exprès, sa geôlière en essayant de briser le fil du téléphone qu’elle menace d’employer.
Faute d’avoir une intrigue potable, Detour regorge de trouvailles stylistiques formidables. D’abord, la musique de Leo Erdody est pour le moins remarquable. Écoutez cet extrait, une valse de Chopin jazzée:
Ensuite, l’impressionnante direction photo de Benjamin H. Kline, appuyée quand c’est nécessaire par des éclairages efficaces, procure au film un look unique. Contemplez cette scène où Al rencontre Vera et l’invite à monter dans sa voiture. La projection arrière simulant le mouvement de la voiture est certes exécrable, mais le plan de profil de Ann Savage est génial.
Enfin, d’une durée de 67 minutes, le montage serré élimine les longueurs et ne conserve que l’essentiel.
Somme toute, ce n’est pas sans raison que, contrairement à Out of the Past, Detour ait sombré dans l’oubli quelques 60 ans après sa sortie en salle en 1945. Au moins, la réalisation imaginative de Edgar G. Ulmer réchappe presque le long métrage, lui conférant suffisamment de bons moments pour intéresser les amateurs de films noir.