Once un film musical de John Carney avec Glen Hansard et Markéta Irglovà, Irlande, 2006, 85 minutes.
Voici une critique cinématographique rédigée en duo par Patricia et David, à l’image du sujet étudié.
La vie est dure à Dublin pour les malheureux artistes malfamés aux coeurs brisés. Au coin d’une rue, guitare à l’épaule, un gars beugle sa frustration d’avoir perdu l’amour de sa vie. Attirée comme par le chant d’une triste sirène, une fille/mère mono-parentale/pianiste/immigrée tchèque s’approche du musicien. Leur rencontre marque la fin de leurs deux solitudes et le début d’une collaboration artistique. Toutefois, rien n’est parfait dans ce monde morose… Le gars recherche davantage qu’une amie et la fille désire davantage qu’un amant. À travers la composition d’émouvantes chansons et l’enregistrement d’un album, ils trouveront chacun leur chemin. Leurs routes se croiseront-elles?

L’idée de réaliser une comédie musicale moderne trottait dans la tête de Carney depuis de nombreuses années. Afin d’entamer son projet, il passa une commande de quelques chansons à Glen Hansard, chanteur du groupe Irlandais The Frames, qu’il connaît pour avoir été jadis le bassiste du groupe. Après quelque temps, Hansard réapparaît avec quelques titres cadrans tout à fait avec ce que le réalisateur avait en tête. Une fois les pièces écrites, et devant passer au mode production, Carney en vient à la conclusion que le rôle principal devait revenir à Hansard lui-même, et ce, malgré une expérience quasi inexistante dans le milieu du cinéma. Voyant le rôle féminin toujours béant, Hansard propose alors d’offrir le rôle à Markéta Irglovà, jeune multi instrumentaliste et parolière hors pair âgée de 19 ans, ayant collaboré à son dernier album solo, The Swell Season. Si le choix des comédiens reposait sur un coup de dé (puisque nuls d’entre eux n’avaient d’expérience pertinente de jeu), Carney s’est vu récompensé par son audace de par la performance offerte par ces deux artistes à qui tout semble réussir. Le film met donc en vedette des amis, des collègues, mais surtout, des passionnés de musique qui ont su faire passer toute la force des pièces dans chaque scène chantée de la production (ce qui représente la moitié du film en soi).

Tourné à peu de frais en numérique, l’image ressemble énormément à ce que les tenants du Dogme avaient habitués. Et même si John Carney s’accorde le droit de montage en cours de scène, il privilégie l’emploi de longs plans. En simplifiant au maximum la forme, le réalisateur insiste sur les chansons et les performances des chanteurs, les forces de l’oeuvre. Il en résulte des séquences mémorables comme celle où Markéta Irglovà marche en pantoufles, la nuit, sous la lumière orangée des réverbères en chantant les paroles qu’elle vient de rédiger. D’ailleurs, cette esthétique dépouillée correspond parfaitement au milieu modeste et à l’existence frugale des deux protagonistes.
Hansard et Irglovà offrent tous deux une prestation digne de mention. Naturels et attachants, leur jeu est généralement juste, mais toujours authentique. Il est en effet extrêmement impressionnant d’observer les deux musiciens lors de l’interprétation de morceaux musicaux; les mimiques et faciès qui s’affichent sur leur visage n’ont rien du jeu, mais relèvent plutôt du senti, de l’émotion captée sur le vif. Malgré la beauté qui émane de ces deux êtres fragiles pour qui on se ferait couper un bras et une jambe, le véritable point fort de la production demeure les chansons elles-mêmes. D’une beauté et d’une puissance sans pareille, chaque chanson entamée, et je dis bien CHAQUE chanson, vous fera monter les larmes aux yeux et vous donnera des frissons de bonheur. Leur rendu est si solide qu’il permet d’excuser les petites incartades du jeu de ces deux musiciens qui, à défaut de rendre parfaitement le monde intérieur de leur personnage par la parole, le font admirablement par le chant; chose que nul comédien professionnel n’aurait pu reproduire.

Acclamée par la (et le) critique, cette superbe mini production n’a rien à envier aux comédies musicales grandiloquentes des années 40. Représentant même leur antipode de par ses moyens infimes, des comédiens principaux bien plus musiciens qu’acteurs, par une réalisation s’apparentant davantage au dogme qu’à toutes mégas productions musicales, l’impacte de Once est décuplé par ce doux mélange de simplicité et d’extrême puissance. Alors courrez vite voir cette perle rare et précipiterez-vous procurer la trame sonore afin de prolonger l’expérience.