Un film de Guy Maddin avec Isabella Rossellini, Mark McKinney et Maria de Medeiros, Canada, 2003, 100 min.
Explorant incessamment les limites formelles et narratives de son médium, Guy Maddin procure aux cinéphiles aventureux des expériences filmiques uniques. L’oeuvre la plus accessible de ce réalisateur, The Saddest Music in the World, place Isabella Rossellini dans le rôle d’une dirigeante de brasserie qui, durant la grande dépression, organise un concours international de musique triste. Son ancien amant ainsi que les deux fils de celui-ci se lancent à la poursuite du grand prix. Leurs tragédies personnelles suffiront-elles à convaincre la juge de la valeur de leur malheur?
Exploitant à merveille la forme du tournoi (à la, croyez-le ou non, Enter the Dragon), cette comédie surréaliste multiplie les éléments cocasses. Par exemple, les gagnants des confrontations entre représentants de différents pays glissent dans une piscine de bière. Mieux encore, dans un retour en arrière plutôt marrant, vous apprendrez que la brasseuse a perdu l’usage de ses deux jambes car le docteur qui l’opéra était saoul, voyait double, et scia le mauvais membre. Remplis de remords, il lui fabriquera des prothèses en verre remplies de bière.
La direction photo agacera, ou rebutera, plusieurs spectateurs. Tournée en noir et blanc avec un grain imposant, l’image semble provenir d’une mauvaise copie d’un film des années ’30 (époque, justement, de la grande dépression). Le visuel, parce qu’il ne correspond absolument pas à ce que l’oeil perçoit normalement, prend des attributs surréalistes qui collent bien à l’histoire sans queue ni tête racontée.
Contrairement à l’absence de définition qui caractérise l’image, le montage sonore (en Dolby Digital 5.1) s’avère précis et incisif. Ainsi, les haut-parleurs émettent clairement chacune des répliques hilarantes telles: « Je ne suis pas américaine mais nymphomane » ou « On ne sait pas s’il se trouve dans le coma ou s’il est simplement très très triste ». Les confrontations musicales, qui donnent lieu à des mélanges assez particuliers (imaginez une chanson traditionnelle canadienne accompagnée de tambours africains) profitent du même impeccable traitement.
La règle générale dit que les bons cinéastes canadiens anglophones se font éventuellement avaler par l’industrie américaine. Pouvez-vous les blâmer de rechercher des budgets et des salaires plus intéressants? Rare sont ceux qui résistent à l’appel de Hollywood comme le fait Guy Maddin. Winnipégois, vous avez peut-être perdus vos Jets, mais vous avez toujours votre Guy.