Les faussaires ou The Counterfeiters, un film de Stefan Ruzowitzky avec Karl Markovics, Autriche, 2007, 98 minutes.
La deuxième guerre Mondiale sert de sujet, années après années, à une multitude de projets cinématographiques. Par conséquent, il devient de plus en plus difficile de ne pas copier les recettes des succès précédents. Les faussaires de Stefan Ruzowitzky évite ce piège et aborde d’une manière qui lui est propre la relation entre l’individu et sa collectivité.
Pour remporter la guerre, les forces nazies entreprirent d’imprimer et distribuer une imposante quantité de faux billets dans le but d’affaiblir les économies nationales de ses rivaux. Cette opération ne peut toutefois pas réussir sans l’apport de faussaires juifs, prisonniers de camps de concentration.
La direction photo caméra à l’épaule aussi effacée que efficace et les décors et costumes aussi grisâtres que vraisemblables procurent au film une présentation sobre. Seule la trame sonore aux accents yiddish vient en encombrer la forme. Stefan Ruzowitzky laisse ainsi toute la place à Karl Markovics qui campe Salomon Sorowitsh, le meneur des faussaires.
L’opposition entre les valeurs de ce complexe personnage et celles en vigueur au cours de cette période historique mouvementée procure au long métrage une richesse dramatique hors du commun. Alors que prévalent les idéologies (fascisme, communisme, capitalisme, religion), Salomon n’adhère à aucune. Ce faussaire criminel mène une vie de luxure pendant que ses pairs embarquent dans des trains les menant vers la mort. Peintre et dessinateur talentueux, il explique son choix de carrière ainsi: « Pourquoi faire de l’argent en faisant des toiles quand on peut faire de l’argent en faisant de l’argent? ».
Après son arrestation, son individualisme et son opportunisme lui permettent de survivre dans les camps jusqu’à ce qu’il soit placé à la tête de l’opération Bernhard. En revanche, aux yeux de Berger, son compagnon d’infortune, ces deux qualités représentent deux défauts qui permettront peut-être à leurs bourreaux de remporter la guerre. En bout de ligne, Salomon se voit confronté au même dilemme moral que le général Pétain: collaborer avec l’ennemi et assurer sa survie ou s’y opposer et périr. À cette question épineuse, Salomon répond: « je ne ferai pas aux Nazis la joie d’avoir honte d’être vivant ».
Au-delà de sa saveur historique et de ses implications philosophiques, le récit, par sa conclusion pertinente, démontre que le poids d’un tel choix déforme inévitablement notre façon de voir la vie. Pour cette raison, l’oeuvre de Ruzowitzky s’établit comme une exploration de notre humanité. N’est-ce pas là l’essence même de tout art narratif?