Un film de Ken Loach, avec Kierston Wareing et Juliet Ellis, Grande-Bretagne, 2007, 93 minutes.
Avec son plus récent film, It’s a Free World, Ken Loach trace des parallèles inquiétants entre la traite des esclaves et le traitement réservé aux immigrants britanniques. L’illustre réalisateur reconnu pour ses préoccupations politiques et sociales évite habilement un ton trop didactique ou revendicateur en appuyant son récit sur les épaules d’un personnage principal aussi complexe que fascinant.
Angela, une mère monoparentale endettée, fonde avec sa meilleure amie Rose une agence de recrutement qui cherche du travail au Royaume-Uni pour des immigrants. Au grand déplaisir de sa collègue, Angela réalise rapidement que pour faire sa place dans le milieu, elle a avantage à ignorer les réglementations en vigueur et mettre en contact les entreprises avec des sans-papiers. Sans recours légal et dans le besoin, ces travailleurs illégaux forment une main d’oeuvre efficace et très bon marché.
Le scénario Paul Laverty, collaborateur de longue date de Loach, expose sans retenu les coulisses épouvantables du marché de l’emploi anglais. Suite au visionnement de It’s a Free World, aucun doute ne subsiste quant à l’absence de conscience des agences de placement d’immigrants. Le scénariste démontre de façon convaincante comment ces organisations se préoccupent davantage des employeurs que des employés. À leurs yeux, les travailleurs ne sont qu’au mieux des esclaves, au pire du bétail. Ce point se voit souligné à gros traits lorsque Angela et Rose, dans le but de se faire baiser, téléphonent à des hommes qui dépendent d’eux pour trouver du boulot.
Avec des gestes aussi amoraux, il aurait été facile de faire d’Angela un monstre à la Cruella Deville. Toutefois, les raisons qui la poussent à agir de manière aussi égoïste sont explorées. Après avoir été renvoyée illégitimement de son dernier emploi, elle ressent le besoin de passer de opprimée à opprimante. Elle se convainc de la légitimité de ses actions en affirmant qu’elle donne aux infortunés une chance de se loger et de se nourrir. Aussi, la mine d’or que représente son entreprise lui permet enfin de profiter avec son fils unique d’un certain confort financier. Il s’agit toutefois d’une façade. Avant la fin de son histoire, elle se verra poser une question tragique: son fils vaut-il autant que les enfants des gens qu’elle exploite?
Il aurait suffit d’un jeu peu nuancé de Kierston Wareing pour que l’équilibre établi entre la dénonciation d’une problématique sociale révoltante et un drame humain déchirant se perde. Or, la trace de honte qui reste dans la voix et le visage d’Angela lorsqu’elle commet ses actes les plus reprochables ou l’accent de naïveté qui persiste lorsqu’elle défend ses positions maintiennent une certaine sympathie pour la protagoniste et assure le succès de cette démarche risquée.
À un certain point, Angela rejette le blâme pour ses actions sur la collectivité. Elle a raison de le faire. Nos habitudes de consommation demandent que des employés soient mal payés pour fabriquer des produits à bas prix. Bref, comme le titre l’indique cyniquement, nous vivons dans un monde libre où il est possible d’abuser les uns des autres…