Un film de Jean-Pierre Melville, avec Alain Delon et François Perrin. France, 1967, 105 minutes.
C’est facile d’écrire sur de vieux navets comme Teenagers from Outer Space ou The Ultimate Weapon. Il suffit d’identifier leurs nombreuses faiblesses et de les souligner de façon humoristique. Mais lorsqu’un film n’a presque pas de défaut, que sa qualité ne peut être décrite brièvement, qu’il a déjà fait maintes fois l’objet d’études et qu’il se dresse comme un étendard au sommet d’un riche courant cinématographique, il apparaît difficile, voire impossible, de lui rendre pleinement justice. Le Samouraï de Jean-Pierre Melville me place présentement dans cette délicate position.
D’une solitude pareille à celle d’un tigre dans la jungle, le tueur à gages Jef Costello ne compte pas d’amis. Ces rares fréquentations sont purement professionnelles: une prostituée qui lui fournit un alibi, un garagiste qui lui vend une arme, des parieurs qui lui permettent de faire fructifier ses gains… Même son animal domestique, un oiseau en cage, sert davantage à lui indiquer si des intrus se sont invités dans son logement qu’à lui tenir compagnie. Il ne vit que pour son travail et risque de mourir de la même façon. Arrêté bêtement quelques heures après avoir commis un meurtre, l’assassin passe une nuit en tôle. Relâché faute de preuve, Jef n’est pas sorti du pétrin pour autant. L’attention particulière que lui ont réservé les forces de l’ordre affole son employeur. Déloyal, il tente de faire taire, à jamais, son employé. Devenu ronin, le samouraï doit échapper d’un côté aux policiers menés par un détective tenace (François Périer) et de l’autre contrer les malfrats à la solde de son ancien senseï.
Les Bouddhistes vous le diront, la vie est cyclique. Jean-Pierre Melville s’est inspiré d’oeuvres de Jacques Tourneur, Howard Hawks et John Huston pour tourner Le samouraï. À son tour, il inspira Johnny To, John Woo et Jim Jarmush. Par contre, à mes yeux, le travail de Melville s’approche davantage de celui de Sergio Leone que des cinéastes précédemment énumérés. Comme pour les westerns spaghettis du célèbre réalisateur italien, Le samouraï reprend un genre typiquement américain (dans le cas présent: le film noir) et le transforme en limitant les dialogues, en accentuant les éléments stylistiques et en accordant au rythme une importance particulière.
Les longs plans privilégiés par l’auteur de Bob le flambeur mettent en valeur le protagoniste. Avec ses costumes qui auraient fait comme un gant à Humphrey Bogart, Alain Delon incarne une icône d’un genre révolu. Mais contrairement à la cinglante vedette de Casablanca, Delon distribue les répliques assassines avec parcimonie. En effet, il replace plus souvent son chapeau qu’il ne parle. Ce mutisme attire l’attention sur le jeu physique du grand acteur français. Ainsi, c’est à travers ses gestes, sa démarche et sa posture, qu’il définit son personnage. Alors qu’il essaie de garder une façade impassible, on sent le désespoir d’un homme traqué et trompé.
Il s’avère difficile de percevoir aujourd’hui Le samouraï de la même manière qu’à l’époque de sa sortie. Le style de son auteur, jadis d’une originalité tranchante, a été calqué par de nombreux cinéastes de Hong Kong à Hollywood. Toutefois, toutes ces imitations n’arrivent pas à rendre justement l’éclat de leur source. Poli et raffiné, Le samouraï est un film aiguisé sans être pointu, cool sans être glacial. En d’autres termes: un chef d’oeuvre.