Ces filles-là

Réalisation de Tahani Rached, documentaire, Égypte, 68 minutes, 2006


On dit souvent que l’amour et la douleur vont de paire. Et bien chers amis, cette semaine, je suis tombée amoureuse. Ma nouvelle flamme porte le nom du dernier projet de la réalisatrice égyptienne Tahani Rached, Ces filles-là. Nous plongeant dans la réalité d’adolescentes vivant dans les rues du Caire, ce documentaire coup de poing a assurément la qualité de nous déstabiliser en nous propulsant dans un monde que tout être raisonnable souhaiterait anéanti. Voyage au cœur de l’abomination, mais également hommage au courage de ces jeunes filles pour qui la vie représente un combat de tous les instants.

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Ces filles-là nous entraîne à un exercice de transposition obligé; il nous amène à comparer notre douce réalité occidentale à celle du Caire où l’expression «  la loi du plus fort  » trouve tout son sens. Que ferions-nous si, comme ces jeunes filles, nous devions élever notre poupon dans la rue? Trouverions-nous la force de lui chanter une berceuse, sourire aux lèvres, entre deux voitures abandonnées afin qu’il trouve le sommeil? Que ferions-nous si nous aussi devions cacher notre grossesse aux membres de notre famille et vivre dans la peur perpétuelle d’être égorgée par notre paternel s’étant fixé l’objectif de rétablir l’honneur de la famille? Serions-nous tombées dans l’enfer de la drogue pour alléger nos souffrances? Aurions-nous dû nous déguiser en garçons afin de ne plus vivre dans la crainte de nous faire enlever, séquestrer, violer, balafrer ou même tuer? Ces questions d’une tristesse infinie nous hantent tout au long des 68 minutes que dure le film.

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Tourné en un peu moins de trois semaines, ce film comporte toutes les qualités que doit présenter un documentaire. Touchant et troublant, il nous propose une immersion dans un monde inquiétant où sont anéantis tous nos repères. La réalisatrice a su relever le défi de s’intégrer à ce milieu d’une extrême violence, mais également celui de gagner la confiance de ces jeunes filles qui racontent leur histoire avec une grande générosité. Malgré des confidences qui glacent le sang, la réalisatrice, refusant de tomber dans le sensationnalisme, ne perd jamais son objectif de vue; regarder la réalité en face. C’est donc dans cette optique que l’on s’attache à Nana, Mariam, Abir et Donia qui, solidaires, se confèrent l’amour et la protection qui leur est depuis toujours refusé. Bien que le thème abordé ne soit pas réjouissant, il est aussi surprenant que rassurant de découvrir un nouveau visage de l’amour. Un visage dur, mais qui ne laisse aucun doute sur sa profondeur. C’est donc sur fond violence que l’on témoigne de la solidité des liens qui unissent ces filles; que ce soit lors d’une bataille livrée pour protéger l’une des leurs, d’une rencontre au sommet pour remonter le moral des troupes ou par la vision de bras couverts de cicatrices qui bercent un poupon.

Ces filles-là n’est assurément pas un film pour vous divertir. Son visionnement est toutefois nécessaire puisqu’il nous fait garder en mémoire qu’il est de notre responsabilité de demeurer au fait de ce qui se passe dans le monde. Ce même monde qui semble reléguer à moindre importance la dignité humaine. Ce film laisse donc un goût amer puisque contrairement à d’autres documentaires, il ne suggère ni solution, ni espoir. Il est à l’image du destin de ces jeunes filles : sans issue.