Des signes presque apocalyptiques tracés sur des panneaux de circulation et des poubelles m’invitèrent à cette projection organisée par le Ca Ca Ca et le Cinéma-Abattoir. Intitulée, Napalm Celluloïd, le programme de courts métrages choisi par Pierre-Luc Vaillancourt proposait huit oeuvres qui cherchent à briser les conventions confortables du septième art.
Liar
Anne Hanavan, États-Unis, 2006, 3 minutes
Une jolie jeune femme en sous-vêtement se trouve dans une cage d’escalier crasseuse. Au rythme effréné d’une chanson punk intitulée Liar, elle se déshabille, se masturbe et s’insère trois fioles d’un liquide rougeâtre dans à peu près tous les orifices de son corps. Le montage énergique (les plans durent rarement plus de deux secondes) d’images chocs (comme avaler une saleté qui traîne sur le sol ou se frotter sur la rampe d’escalier) stimule le spectateur. Personne ne pourra accuser le réalisateur d’exploiter l’actrice principale de ce vidéoclip trash, Anne Hanavan le réalise et en tient la vedette.
Excellent coup d’envoi pour la soirée. Liar offre une décharge d’énergie pure qui fait écarquiller les yeux et une absence de pudeur qui agit comme sac-à-dos lorsqu’on saute d’un avion.
La femme phallique
Frédérique Marleau et Serge de Cotret, Québec, 2007, 7 minutes
« J’ai pénétré ma mère en rêve »
Une fille se sangle un pénis artificiel et fait l’amour à sa copine. En voix-off, la femme phallique explique de façon poétique (on est quand même loin de Baudelaire) son désir de pénétrer une autre femme. Visuellement, l’étalonnage des couleurs de certains passages du vidéo a été si exagéré qu’il donne une impression de rotoscopie.
À chacun ses fantasmes. Le propos du film est digne d’être exploré, l’image d’une femme en pénétrant une autre est intrigante et fascinante. Par contre, le décor, l’aspect vidéo et les plans de caméra donnent l’impression de regarder une porno amateur. Et la narration poétique atténue à peine cet effet.
Viral
Frédérick Maheux, Québec, 2007, 10 minutes
L’action de ce film se déroule dans deux zones distinctes. Dans une pièce éclairée de chandelles, un étrange bonhomme en attirail sado-maso s’approche d’une poupée aux attributs sexuels proéminents. À l’extérieur, dans la neige, un étrange prêtre masqué présente des icônes religieuses de la vierge Marie. Il aligne ensuite sur le sol enneigé une paire de ciseaux et une perceuse. Il emploie la paire de ciseaux pour se castrer. Ça a pour effet de calmer les ardeurs du bonhomme S&M qui à présent s’attaque à une poupée représentant un nouveau né. Le prêtre utilise ensuite la perceuse pour aérer sa boîte crânienne, ce qui entraîne la mort des deux protagonistes.
Si le vicieux personnage sanglé représente le Ça et que le prêtre représente le Surmoi, l’ensemble constitue une expression du Moi. Cette vision d’un rapport à la féminité inquiétera sûrement le publique féminin (ou les coeurs sensibles) mais les cinéphiles apprécieront l’énergie déployée par le réalisateur aini que son refus d’atténuer l’aspect macabre de sa vision.
God’s Little Girl
Mitch Davis, Québec, 2006, 16 minutes
Les crédits d’ouverture sont lancés sur une musique inspirée des meilleurs mélodies de John Carpenter. S’ensuit l’histoire d’une maman qui perd son enfant à la naissance. Elle se questionne sur la mort et le rôle de Dieu. Elle avale des pilules dans une tentative de suicide. Deux jours plus tard, elle s’éveille à l’hôpital. Son coeur ne bat plus, elle n’a plus faim, elle n’aura plus d’enfant, mais elle vit encore. Comme un zombi, elle regarde des émissions de cuisine débiles à la télé.
La direction photo est efficace et les éclairages rappellent ceux de Suspiria. L’intrigue contient des concepts intéressants mais l’exécution, basé sur une narration amorprhe en voix-off, rend l’ensemble ennuyant. J’aurais aimé aimer ce film car j’apprécie le travail phénoménal qu’effectue Mitch Davis pour le Festival Fantasia, mais quand c’est plate, c’est plate.
Merzbow Beyound Snuff
Aryan Kaganof, Japon / Afrique, 1997-2005, 22 minutes
« There’s no such thing as noise »
Ce document éclectique cherche à promouvoir le travail de Merzbow, un excellent musicien Noise qui s’intéresse aux suicides de jeunes japonaises. On peut y entendre une excellente démonstration de la virtuosité du bruiteur ainsi que des images d’une jeune fille qui se tranche l’abdomen avec un couteau, étend ses viscères sur le sol et patauge dans son sang. On y apprend aussi la différence entre hara-kiri et seppuku.
Dérangeant et étourdissant. Il faut assurément voir ce film à plusieurs reprises pour en comprendre parfaitement le propos mais les images choquantes qu’il contient risquent d’en décourager plus d’un. Merzbow Beyound Snuff constitue exactement le genre de film déstabilisant que j’espérais voir dans le cadre de cette soirée.
Pandrogeny Manifesto
Dionysos Andronis et Aldo Lee, Grèce / France, 2005, 11 minutes
« The body is the logo of the self »
Ce court métrage porte parfaitement bien son titre. Construit autour d’un dialogue entre Genesis P-Orridge et son amant/amante, il explique comment et pourquoi deux personnes s’efforcent, vêtements et chirurgies esthétiques aidant, de se ressembler le plus possible. Il y a l’homme, il y a la femme et puis il y a un troisième corps réunissant les attributs de l’un et de l’autre. L’objectif avoué du chanteur est de ressembler physiquement le plus possible à ce troisième corps idéalisé.
Je ne suis pas familier avec le groupe Throbbing Gristle dont Genesis P-Orridge est le chanteur. Après ce film, vous n’en connaîtrez pas vraiment davantage sur leur musique. L’argumentation du couple est suffisamment solide pour qu’on respecte leur choix mais pas suffisamment convaincante pour que je me rendes à la clinique dans les prochains jours.
Theocordis
Serge de Cotret, Québec, 2007, 10 minutes
Cortet nous montre des images religieuses très pixélisés sous un filtre qui tente de donner un effet de pellicule endommagée. On peut y voir, entre autres, une image de Jésus avec un pénis dans la bouche. L’image est moche, mais frappante.
Le faux effet de film est franchement maladroit. Par contre, il crée une pulsation qui donne un aspect organique assez intéressant à l’oeuvre. La musique électronique d’ambiance comble parfaitement bien l’espace sonore. Le commentaire anti-religieux, ou simplement satanique, me laisse froid.
Western Sunburn
Karl Lemieux, Québec, 2007, 10 minutes
Les films de cowboys nous montrent une époque révolue. Le genre lui-même, tout comme la pellicule 16mm noir et blanc, est en voie d’extinction. Dans Western Sunburn, Karl Lemieux présente des images captées lors d’une performance de manipulation d’un projecteur 16mm. Un extrait d’un vieux western en noir et blanc défile dans l’appareil pendant que le projectionniste joue avec la vitesse du film ou l’arrête complètement ce qui entraîne la destruction de certains photogrammes. En fondant, les images prennent des couleurs fascinantes. Une musique d’ambiance électronique fort réussie remplace le cliquetis agréable du projecteur.
Le western est un genre qui a été recyclé par l’industrie cinématographique hollywoodienne. Prenez les films de Carpenter, qu’on pense à Vampires ou Assault on Precinct 13, il s’agit de westerns déguisés. Un peu comme le maître de l’horreur, Karl Lemieux brûle une oeuvre du passé pour proposer quelque chose de nouveau et original. On peut y lire un commentaire sur la précarité des oeuvres artistiques ou sur les limites de la mémoire collective. Ce qu’on peut y voir est plus intéressant toutefois, comme une goutte de sang qui se dissipe dans un verre d’eau ou comme les reflets changeants d’une tache d’huile, la combustion d’un photogramme offre un spectacle d’une beauté unique.